Tribune commune AFNP – AFH pour alerter sur le don de plasma en France

Inquiets du silence assourdissant des autorités de santé au sujet du rapport de la mission IGAS IGF sur notre système (de collecte et de traitement) sang-plasma, dans un contexte de très forte contrainte budgétaire de l’EFS alors d’énormes investissements sont nécessaires, l’AFNP et l’AFH (Association Français des Hémophiles) s’associent pour rédiger une Tribune commune:

Don de plasma : La France va-t-elle enfin prendre le sujet à bras le corps ?

Don de plasma, un système de collecte à rénover

Alors qu’un rapport sur la filière française du plasma commandé à l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et à l’Inspection générale des finances (IGF) est sur le bureau du ministre de la Santé et du ministre de l’Economie depuis début juin, sans que les acteurs associatifs n’aient eu accès ni à leur lettre de mission, ni à leurs conclusions, il est urgent de regarder en face les défis auxquels la filière est confrontée et d’y apporter des réponses fortes pour assurer, avant tout, la sécurité des patients.

Un système de collecte de plasma en danger

Tandis que la révision de la réglementation européenne concernant le don de substances d’origine humaine incluant le don de plasma bat son plein et que la France semble vouloir imposer son modèle de collecte de plasma destiné à la fabrication de médicaments (c’est-à-dire au fractionnement) dans toute l’Union européenne, il est essentiel de dresser l’état des lieux de notre système aujourd’hui bien loin de répondre aux besoins des malades français. Cette situation inquiétante pour les malades va à l’encontre d’une volonté pourtant affichée d’indépendance sanitaire, alors même que la France dispose de tous les acteurs capables de se mobiliser pour diminuer sa dépendance aux pays tiers.

Sang total et plasma sanguin : une ambiguïté entretenue

« En France, nous sommes autosuffisants ! » entend-on souvent. Cela n’est vrai que si l’on considère le sang total (globules rouges), et au prix de campagnes de communication permanentes. Concernant le plasma, c’est très différent. La France est dépendante à hauteur de 70% d’autres pays capables de collecter davantage de plasma, notamment des États-Unis. C’est considérable pour un pays disposant d’un système de santé tel que le nôtre.

Il est essentiel de distinguer le don de sang total du don de plasma. D’un côté, il est possible de donner des globules rouges quatre à six fois par an selon son sexe, tandis que pour le plasma sanguin (i.e. le liquide dans lequel baignent les globules rouges et de nombreuses protéines), le don peut s’effectuer jusqu’à 24 fois par an en France. L’un prend 30 à 45 minutes lorsque l’autre requiert 1h30 environ, auxquels s’ajoutent des temps de transport souvent plus longs du fait de la quasi-inexistence de collectes mobiles de plasma et du nombre limité de points de collecte fixes sur notre territoire.

Le plasma collecté en France est donc pour les trois quarts issu du sang total et non d’un don de plasma seul, à la différence de certains de nos voisins européens qui ont investi massivement dans une organisation spécifique de collecte de plasma, appelée plasmaphérèse. Pourtant, les besoins en plasma pour fractionnement ne cessent d’augmenter alors que ceux en sang total décroissent d’année en année.

Il n’y a donc aucune chance avec un tel système de pouvoir faire face à la demande des malades ni de diminuer notre dépendance en ce qui concerne le plasma.

Préleveur-fractionneur : une interrelation complexe, pour le meilleur et pour le pire…

L’Établissement français du sang (EFS), établissement public, est le seul opérateur autorisé à collecter le sang et le plasma français. Le prix auquel il vend son plasma au Laboratoire français du fractionnement et des biotechnologies (LFB), société détenue par l’État et seule autorisée à le transformer en médicaments, est fixé réglementairement, indépendammentdes coûts générés pour son prélèvement. Comparé au coût réel de collecte et aussi aux prix du plasma sur le marché international, ce tarif est très bas.

Alors même que ce tarif bas est plutôt favorable au LFB, qui évolue dans un écosystème où la compétition industrielle mondialisée est réelle tout en ayant une mission de service public, l’EFS, de son côté, bénéficie actuellement d’un budget qui ne lui laisse aucune marge de manœuvre en dehors du prélèvement de sang total et d’un peu de plasma… en tout cas certainement pas de s’engager dans une stratégie nationale ambitieuse de collecte de plasma, pourtant nécessaire pour diminuer la dépendance de la France au plasma étranger.

Quel avenir pour la collecte de plasma en France ?

En 2026, avec l’ouverture annoncée d’une usine à Arras, la capacité de fractionnement du LFB va doubler. Mais quel plasma pourra-t-il fractionner si aucun effort n’est fait pour augmenter en proportion la capacité de collecte de l’EFS ?

Il est clair que si nous ne réformons par notre système de collecte de plasma, nous ne pourrons pas faire fonctionner une usine flambant neuve dont la construction aura été soutenue par l’État français à hauteur de plusieurs centaines de millions d’euros et devant également générer des centaines d’emplois. Un comble, dans un contexte de relocalisation et de recherche de souveraineté sanitaire européenne, et malgré des annonces politiques fortes et ambitieuses…

Plusieurs choix s’offrent donc aujourd’hui à notre système de collecte de plasma pour le rendre plus efficace. Le premier est de financer l’EFS de manière à permettre une augmentation forte de la collecte, et cela passe par l’implantation de maisons du don dans des endroits stratégiques, par le déploiement massif de la collecte par plasmaphérèse en sites fixes ou mobiles, par l’élargissement des plages horaires permettant à tous de se rendre dans ces lieux de collectes, par le recrutement de personnels dédiés avec une revalorisation des rémunérations pour améliorer l’attractivité des postes offerts, avec en ligne de mire, in fine, le recrutement massif donneurs. 

A défaut d’un soutien étatique digne des besoins et des enjeux, d’autres options inspirées de ce qui se fait ailleurs pourraient émerger, au risque de fragiliser encore plus l’EFS.

Il est également impératif de s’interroger sur l’incitation au don. Sans dogmatisme ni attachement symbolique déconnecté des enjeux de sécurité et d’accès aux traitements pour les malades. Ainsi, la question d’une indemnisation ou d’une compensation du don doit être posée, eu égard aux contraintes que requiert le don de plasma, et à la fréquence à laquelle ce don peut être réalisé. La fidélisation de donneurs en nombre suffisant ne saurait faire l’économie de mesures assurant, a minima, la neutralité financière du don, voire un dédommagement forfaitaire. Sauf à considérer que de manière innée, l’altruisme, la solidarité et l’amour de son prochain sont des valeurs universellement répandues, il nous faut là aussi travailler collectivement, avec pragmatisme, tout en maintenant le niveau d’exigence qui fonde notre humanité.

Et les patients dans tout cela…?

À la suite de la mission IGAS-IGF sur la filière plasma, dont les résultats n’ont pas été rendus publics, les associations de patients concernés attendent des mesures concrètes, rapides et fortes, à la hauteur des enjeux pour des dizaines de milliers de malades qui depuis des années subissent périodiquement des pénuries en médicaments dérivés du plasma.

Pour certains, ces pénuries signifient une prise en charge thérapeutique suboptimale ; pour d’autres c’est synonyme de perte d’autonomie physique, d’infections à répétitions, d’insuffisance respiratoire, voire de mort prématurée. 

Cela doit cesser !

La France doit donc faire des choix si elle ne veut pas rater une occasion historique de contribuer à l’indépendance sanitaire européenne en réformant son propre système de collecte de plasma pour fractionnement. Cela passe par des mesures fortes et courageuses et par une vision prospective voire stratégique du sujet.

Signataires :

Jean-Philippe Plançon – Président de l’Association Française contre les Neuropathies Périphériques (AFNP) & de l’ONG EPODIN (European Patient Organisation for Dysimmune and Inflammatory Neuropathies)

Nicolas GIRAUD – Président de l’Association française des hémophiles (AFH)

 

 

2023-07-25T22:14:10+02:0025 juillet, 2023|